Monday, February 8, 2010

Nick Leeson - Portrait

Nick Leeson, 32 ans, le trader qui a mis en faillite la banque Barings, raconte ses petites affaires dans son autobiographie. Le cave du siècle.
Portrait: LECADRE Renaud

Le 3 juillet 1999, Nick Leeson débarquait à l'aéroport de

London-Heathrow. Après quatre ans et demi passés en prison à Singapour, le trader déchu de la banque Barings pouvait enfin goûter ce doux retour dans la mère patrie. Sitôt dans le hall, deux huissiers lui tendent un papier bleu: une injonction à payer 100 millions de livres, plus de 10 milliards de francs. Il va falloir réparer une partie des dégâts.

La semaine dernière, Nick Leeson recevait dans un salon de l'hôtel Royal Monceau, en pleine tournée promotionnelle. Après l'autobiographie, Trader Fou, le film, Trader tout court. «Le livre a payé mes frais d'avocats, un million de livres. Quant au film, j'ai juste cédé les droits d'adaptation, 15 000 livres, pour payer les frais de déménagement de Lisa après notre divorce.» Un bataillon d'avocats est là pour monnayer ses moindres faits et gestes. Profitant d'un instant de relâchement, on a obtenu une heure gratuite ­ quoique fort matinale pour un samedi ­ avec Nick Leeson.

Il se plie gentiment à l'exercice, une thérapie, dit-il, avant de glisser finalement qu'il se moque du regard des autres. Dans son livre, l'ancien trader confesse volontiers qu'il est un escroc, un criminel. Nick Leeson n'a jamais été ce financier vedette dont les positions hardies sur le marché à terme auraient finalement mal tourné. «Tout est bidon.» Depuis le début, il planquait ses pertes sur un compte secret. Elles n'ont fait qu'amplifier, la logique des produits dérivés leur a donné une existence propre. Nick Leeson n'en revient toujours pas: «Il ne s'est pas passé un seul jour sans que je me dise: ça y est, ils vont enfin m'arrêter.» Cette scène, lui, cerné par les flics, traversant la Bourse de Singapour les mains en l'air, il l'a souvent rêvée. Elle devait mettre fin au cauchemar. Le stress qui transpire au fil de son récit est contagieux, tant le final a tardé à venir.

Nick Leeson ne renonce à l'autoflagellation que pour moquer les autorités de tutelle. «Elles m'ont décrit comme un escroc pour masquer leur incompétence. On dit que j'ai caché, c'est faux! Simplement, ils n'ont pas su trouver.» Ses patrons de Barings, dont les revenus étaient indexés sur ses plus-values fictives, ne pouvaient tout simplement pas lui demander des explications: ils ne comprennent rien aux marchés dérivés. Pour l'édification des futures générations de banquiers, il va prochainement donner une conférence devant la Global Association of Risk Professionals. «J'ai quelques idées sur la question"» On s'arrache l'homme par qui la catastrophe est arrivée. Une banque à Amsterdam tient à lui donner un bureau. Lui ne sait plus trop, il aimerait bien entraîner une jeune équipe de foot du nord de l'Angleterre, boire des bières avec ses potes, mais son image ne lui appartient plus. A Hong-Kong, une boisson baptisée en son honneur The bank braker cocktail obtient un franc succès. Aux Etats-Unis, un groupe de rock, The Bollock Brothers, se vante à intervalles réguliers d'enregistrer un disque avec Nick Leeson, une version destroy de My Way. «Ils se font leur propre pub. Que faire?» Rien.

Le regard de ses anciens collègues de Barings est fluctuant. Un type sympa qui travaillait dans la salle des marchés à Londres l'a remercié pour lui avoir donné une «bonne leçon», maintenant prémuni contre le syndrome trader fou. Les autres préfèrent l'éviter. «Je peux comprendre, ils ont une carrière à mener.»

Seul paraît finalement compter le regard de l'ex-Mme Leeson. Sujet délicat, sur lequel il est toujours curieux de constater combien certains Anglais ­ l'habitude de la presse populaire? ­ sont malgré tout capables de s'épancher. Lisa, donc. Dans son livre, Nick avait lourdement insisté: non, elle n'était pas dans la confidence; oui, il avait honte d'être incapable de lui parler de ses ennuis. Fatalement, cette insistance est apparue suspecte, le signe a contrario qu'ils étaient de mèche, que Lisa devait paraître en dehors du coup pour récupérer l'argent planqué dans une banque. En Allemagne, affirmait la presse britannique. «Conneries complètes. On a même enquêté sur une piste en Afrique du Sud, où je n'ai jamais mis les pieds.» Leur union était déjà brinquebalante, et il faudrait en plus qu'on la pourrisse. Début 1996, Lisa Leeson a cessé d'écrire à son mari emprisonné. Lequel se doute, accuse le coup: «L'incertitude était trop forte.» A sa sortie de prison, les rôles sont inversés: Lisa veut parler, Nick estime que ce n'est plus absolument nécessaire. Un détail l'embête: son éditeur et les avocats qui vont avec insistent pour qu'il rédige un dernier chapitre racontant leur divorce pour l'édition américaine. «J'ai pas envie, mais on m'oblige.» Pauvre pantin articulé, il met la dernière main à la commande. Les liquidateurs de Barings lui laissent 3 000 livres par mois (30 000 francs environ), le surplus comble méthodiquement le trou, estimé à 850 millions de livres. En 2001 si tout va bien, les commissaires aux comptes seront condamnés à de colossales indemnités pour n'avoir rien vu venir. Nick Leeson pourra alors être quitte.

Avant de devenir trader, l'ami Nick ne rechignait pas au déshabillage en public. A Watford, au pub, quéquette à l'air avec les copains. Pour rire, puisqu'il faut bien s'amuser après le travail, trouver prétexte à bagarre générale. A Singapour, pareille expérience avait failli dégénérer pénalement: les autorités locales ne rigolent pas avec les attentats à la pudeur. Déjà, Nick Leeson avait songé à s'enfuir" De retour en Angleterre, il expose aujourd'hui son cancer du côlon, fruit du stress et de la malbouffe propres aux traders surmenés. «Ma vie est déjà sur la table, il n'y a plus rien à cacher.» Cette absence de pudeur est une bénédiction pour les deux associations de lutte contre le cancer qui ont fait de Nick Leeson leur porte-drapeau. Outre-Manche, les sexes s'exhibent plus volontiers que les maladies. Il a entamé un tour du royaume, décomplexant les cancéreux, dénonçant les carences du système de santé britannique, «le pire du monde développé».

La prison, antichambre de la rédemption? Nick Leeson ne la souhaiterait à personne. Les geôles de Singapour sont réputées pour être les plus «sécurisées» au monde: «Tout est conçu pour y passer un sale moment.» Un séjour de 26 jours au mitard, suite à un problème de voisinage, a déclenché la maladie. Il a vraiment cru mourir. Récemment, le président du Charity Colon Trust, l'une des associations de lutte contre le cancer, lui a dit ceci: «Vous êtes la meilleure chose qui nous soit jamais arrivée.» L'homme qui parle de la sorte se nomme Richard Hambro, de la banque Hambro, ami intime de la famille Baring. On peut considérer que l'incident est clos.

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